Dans le cadre du Choix Goncourt de la Suède 2023, Fredrik Rosvall et Börje Ronnqvist livrent une critique littéraire de Vivre vite de Brigitte Giraud (Flammarion, 2022) basée sur les débats du jury.
Le désir de changer un passé irréversible. Le manque d’un mari disparu trop vite. La musique qui encercle des moments passés ensemble. Le devoir de continuer. Dans Vivre vite (2022), roman d’autofiction et lauréat du Prix Goncourt, Brigitte Giraud raconte l’accident de moto qui lui a enlevé son mari Claude le 22 juin 1999. C’est le récit d’un deuil très intime et le processus déchirant qu’il a fallu pour essayer de retrouver la vie.
Brigitte Giraud (née en 1966), autrice et narratrice, retourne à cette époque-là, juste avant l’an 2000. Elle retourne à son Lyon des jours où elle a perdu son mari et le père de leur jeune fils, juste avant qu’ils ne déménagent dans une maison de rêve. Plus de vingt ans après, quand il est temps de vendre cette maison qu’elle a, malgré tout, rénovée toute seule et qui sera démolie dans une nouvelle perspective urbaine, elle se met à écrire sur le sort et les conditions d’un destin irrévocable.
Les notes d’une chanson peuvent nous faire voyager dans le temps, dans un instant, et nous sommes invités, au travers des allers-retours de cette histoire, à revisiter les jours où tout semblait possible, et normal. Les nombreuses références musicales dans le roman fonctionnent comme une bande-son qui accompagne la lecture. Quand Claude meurt, elle ne veut pas écouter de musique pendant un certain temps, et c’est alors qu’elle comprend « Marguerite Duras qui disait à quel point la musique pouvait la dévaster ».
« Si rien n’était arrivé, je ne me serais peut-être pas souvenue… » L’un des points forts de ce roman est sa capacité d’encapsuler, liés à un traumatisme figeant, les mémoires et le zeitgeist de ce temps-là avec ses caractéristiques et arômes. Qui se souviendra dans quelques années des discothèques des bibliothèques où l’on empruntait des disques, là où travaillait Claude, ce grand amateur de musique ?
« On ne va pas passer sa vie à entrer dans les détails », mais elle se le permet (une dernière fois ?) en se plongeant dans les circonstances concernant l’accident, dans une suite rapide de chapitres si « au conditionnel passé » : « Si je n’avais pas voulu vendre l’appartement », « Si j’avais eu un téléphone portable », « Si Stephen King était mort… », « Si Claude n’avait pas oublié… » … Le style du récit est simple et direct, et cette simplicité fluide, parsemée de détails triviaux, accueille le lecteur dans des pensées, parfois logiques et parfois errantes mais toujours humaines, qui cherchent du sens.
Parmi toutes les petites questions posées apparaît cette grande question qui reste sans réponse : En empruntant, ce jour-là, cette moto fatale, a-t-il eu la moindre inclination à « tout saloper », cet homme qui était à la fois « bon père de famille » et « punk » ? A-t-il voulu « vivre vite, mourir jeune » à la Lou Reed et James Dean ? Si Claude a pris le risque de « faire un beau cadavre », la narratrice ne s’approche que très doucement d’une telle constatation. L’intensité du deuil nous encercle petit à petit dans ce récit touchant, et bien que la narratrice affirme, à la fin, qu’il n’y a plus de si, l’écho du roman est celui d’une blessure toute fraîche : « Ne prends pas les clés. »
Découvrez le mois prochain, la critique de Les Presque soeurs, de Cloé Kormann. Pour en savoir plus sur le Choix Goncourt de la Suède 2023, cliquez ici.