Journées franco-suédoises de la recherche sur l’énergie nucléaire

Coorganisée avec l’école royale polytechnique de Stockholm (KTH) et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) , la 26ième édition des journées franco-suédoises de la recherche (9 et 10 octobre 2023) a porté sur l’énergie nucléaire et s’est tenue dans les locaux de KTH. Les thématiques suivantes ont été abordées: le nouveau nucléaire (SMR, Small Modular Reactor, petit réacteur modulaire, et EPR, European Pressurized Reactor, Réacteur pressurisé Européen), la prolongation de durée de vie des installations existantes, la formation et les compétences dans le domaine de l’énergie nucléaire, l’innovation nucléaire avec les AMR (Advanced Modular Reactor, réacteur modulaire avancé), les usages non électrogènes du nucléaire et la gestion à long terme des déchets radioactifs.

La première journée de conférence a été ouverte par des discours du président de KTH, Anders Söderholm et de l’Ambassadeur de France en Suède, Etienne de Gonneville. Ces interventions ont mis l’accent sur la nouvelle dynamique existante entre la France et la Suède en matière de coopération sur les questions nucléaires, impulsée au niveau politique. Cette collaboration nécessiterait un partage de connaissances, de compétences, une harmonisation des réglementations concernant le savoir-faire et les projets pilotes dans les deux pays. Les besoins en matière d’éducation, de recherche, de techniciens et d’ingénieurs seraient considérables pour les années à venir.

Anders Söderholm a souligné que KTH offrait le seul programme de master en ingénierie nucléaire en Suède et que la recherche dans ce domaine était en plein essor. « Dans un monde où les changements sociétaux sont rapides, nous avons besoin d’une plus grande collaboration entre les disciplines et au-delà des frontières nationales. Nous nous réjouissons donc de renforcer la collaboration avec les universités et les chercheurs français pour construire ensemble un avenir durable ».

Etienne de Gonnevillle a évoqué l’étroite coopération prévue entre la France et la Suède en matière de développement de l’énergie nucléaire et a souligné l’importance du partenariat stratégique franco-suédois. « Nous devons maintenant travailler ensemble pour relever les défis techniques, de recherche et sociétaux qui découlent de grandes ambitions liées à l’énergie nucléaire, ainsi que les défis associés en matière de compétences. Et j’espère que cette conférence de deux jours y contribuera en donnant aux différents acteurs l’occasion de mieux se connaître et de construire des réseaux pour faire avancer notre communauté franco-suédoise ».

La conférence a été consacrée à la recherche et à la formation dans le secteur nucléaire. Vingt et un orateurs du secteur nucléaire (recherche, formation, autorités de sûreté et industriels) français et suédois sont intervenus devant un public averti et de grande qualité d’environ 120 personnes.

Anders Söderholm, président de KTH et Etienne de Gonneville, Ambassadeur de France en Suède lors des journées franco-suédoises de la recherche sur l’énergie nucléaire (photos de Magnus Glans).


Journée du 9 octobre 2023

Construction de nouveaux réacteurs nucléaires (SMR – EPR)
La première demi-journée a débuté par la présentation de Mats Jonsson, professeur et chef adjoint du département de physique chimie appliquée à KTH, du centre d’excellence ANItA (Academic-Industrial Nuclear Technology Initiative to Achieve a sustainable energy future, initiative industrielle et académique de technologie nucléaire pour un futur durable énergétiquement). Lancé en 2022, ce centre d’excellence est dédié à la technologie des SMR. Placé auprès de l’Université d’Uppsala, le centre rassemble des acteurs de la sphère académique (KTH, Université Technique Chalmers à Göteborg, Université d’Uppsala), des entreprises (Uniper, Vattenfall, Fortum, Westinhghouse, Studsvik…etc.) et des autorités publiques (Agence de l’énergie, municipalités, etc.).

En regard, Olivier Godon, chef de mission développement nouveau nucléaire chez EDF, a présenté les divers types de réacteurs proposés par EDF, avec un focus sur les réacteurs de troisième génération : EPR (1 650 MWe), EPR1200 (1 200 MWe) et Nuward SMR (340 MWe). EDF est impliquée dans la construction de nouveaux réacteurs en Europe et dans le soutien du développement européen de réacteurs nucléaires. La France a récemment décidé de construire six EPR supplémentaires et posé une option pour huit autres. « Parallèlement, le développement de la technologie Nuward SMR se poursuit, principalement sur le marché européen », a déclaré Olivier Godon.

Olivier Godon et Mats Jonsson ont ensuite répondu aux questions des participants sur des sujets aussi variés que l’horizon de planification des réacteurs SMR, la gestion des déchets et la durée de vie prévue des nouveaux réacteurs.

Extension de la durée de vie des centrales nucléaires et le vieillissement des infrastructures
Cette session a été ouverte par deux représentants de la sphère industrielle.

Martin Luthander, responsable du développement commercial et du marché chez Vattenfall, a fait une présentation de l’exploitation à long terme des centrales (Long Term Operation – LTO) par Vattenfall. Il a mis l’accent sur les principaux défis, compétences, ressources et paramètres techniques pour les composants critiques, et expliqué que l’horizon de planification de Vattenfall – jusqu’à 80 ans – nécessitait une vision holistique, allant de la technologie aux questions commerciales. Avant la fin de l’année, l’entreprise devait annoncer ses projets de construction de nouvelles centrales nucléaires en Suède.

Udo Wildner, expert chez Framatome pour les logiciels de gestion du vieillissement et d’évaluation de la dégradation des structures, a fait une présentation sur l’expérience de Framatome en LTO. Il a détaillé le processus de LTO de Framatome, fondé sur les recommandations de l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA), et souligné la nécessité de prolonger la durée de vie de la majorité des réacteurs pour faire face à la transition énergétique en lien avec le climat. Cela représentait un travail conséquent, chaque installation étant unique et exigeant des mesures particulières en termes de remplacement de composants.

Le point de vue de la recherche a été abordé par Ludovic Vincent, ingénieur chercheur au CEA Saclay dans le département des matériaux pour le nucléaire, sur la problématique de la fragilisation de l’acier de la cuve du réacteur liée à l’irradiation. Le phénomène était assez bien documenté jusqu’à environ 60 ans de fonctionnement. Néanmoins, il a souligné l’importance d’étudier les matériaux provenant de centrales nucléaires actuellement définitivement arrêtées ou en cours de démantèlement pour augmenter la connaissance des effets des divers phénomènes en jeu et alimenter les bases de données des outils de simulation.

Les autorités de sûreté suédoise (SSM) et française (IRSN) ont ensuite présenté leurs points de vue et actions.

Per Seltborg, directeur de la recherche à la SSM, a présenté les défis identifiés (besoins en personnels qualifiés, protection face aux radiations, gestion des déchets en lien avec les nouvelles générations de réacteurs et leur combustible, harmonisation internationale des règlementations) et les atouts de la sûreté nucléaire en Suède (perspectives de développement du nouveau nucléaire en Suède, collaborations internationales existantes et à établir). Il a particulièrement insisté sur la nécessité d’une stratégie nationale visant à accroître les compétences dans ce domaine, compte tenu des investissements prévus dans l’énergie nucléaire suédoise.

En regard, Jean-Christophe Niel, directeur général de l’IRSN, a présenté le travail de l’IRSN concernant l’extension de la durée de vie des centrales nucléaires – vieillissement des infrastructures ainsi que les programmes de recherches dans lesquels l’IRSN est partie prenante.

Table ronde sur les besoins en compétences du « nouveau nucléaire »
Une table ronde modérée par Valérie Lemarquand, attachée de coopération scientifique et universitaire à l’ambassade de France à Stockholm, a clôturé la journée de conférence. Les panélistes se sont exprimés sur les besoins en compétences du « nouveau nucléaire ».

Karen Daifuku, directrice exécutive de l’I2EN, en a présenté les activités. La mission principale de l’I2EN était l’aide à la mise en place de programmes et de formations à l’étranger dans le secteur du nucléaire pour répondre à une demande internationale d’origine géographiquement variée.

Jan Dufek, maître de conférences à KTH, a décrit le paysage suédois des formations disponibles dans le domaine de l’énergie nucléaire et des besoins identifiés. Il restait actuellement un seul programme de niveau Master en Suède, à KTH, en ingénierie nucléaire, attirant essentiellement des étudiants internationaux. Par ailleurs le master comptait actuellement un nombre record d’étudiants, mais qui était limité par la disponibilité des locaux d’enseignement.

Hervé Maillart, délégué permanent du Comité stratégique de l’industrie nucléaire (CSFN), a exposé les besoins industriels énormes en ressources humaines dans le domaine nucléaire : en France seulement, il faudrait former environ dix mille personnes supplémentaires tous niveaux confondus chaque année jusqu’en 2035. La stratégie pour répondre à la demande créée par la relance massive du nucléaire nécessiterait de coopérer à l’échelle européenne.

Elina Charatsidou, doctorante en physique nucléaire à KTH, a présenté les actions qu’elle menait pour démystifier la physique nucléaire auprès du grand public et faciliter l’accès à l’information : Elle anime une chaîne YouTube, @YourFriendlyNuclearPhysicist avec plus de 70 000 abonnés. Un de ses objectifs était de contribuer à augmenter l’acceptation de l’énergie nucléaire et l’attractivité du domaine.

Pär Olsson, professeur à KTH et coordinateur du centre de recherche SUNRISE (Recherche en énergie nucléaire durable en Suède), a également contribué à la discussion, en lançant un appel au gouvernement pour un financement à plus long terme des universités du pays dans le domaine de la recherche et de la formation dans le domaine de l’énergie nucléaire.

Table ronde sur les formations et compétences. De gauche à droite : Valérie Lemarquand, Elina Charatsidou, Hervé Maillart, Jan Dufek et Karen Daifuku. Le 9 octobre 2023, à KTH Innovation (Photo : Magnus Glans).

Ressources humaines, connaissances, compétences, formations, futurs experts, investissements à long terme, électrification de la société, besoins et planification de la maintenance, perturbation de l’IA, combler les écarts entre les personnes et la science… Toutes ces questions ont été abordées lors de la première journée franco-suédoise de la recherche 2023 sur l’énergie nucléaire.


Journée du 10 octobre 2023

 
Deuxième journée de conférences sur l’énergie nucléaire, le 10 octobre 2023, au sein du réacteur R1, plus ancien réacteur nucléaire de Suède.  

L’innovation nucléaire
La deuxième demi-journée a commencé par une riche session sur l’innovation nucléaire.

Janne Wallenius, professeur de physique des réacteurs à KTH a présenté la start-up Blykalla (soutenue par la société UNIPER) dont il est co-fondateur. Blykalla développait un SMR refroidi au plomb, SEALER-55, conçu pour le marché nordique d’ici 2030. Un des intérêts de la technologie était sa compacité : 5 mètres de hauteur, à comparer aux 20 mètres d’un SMR refroidi à l’eau. Blykalla avait levé l’obstacle majeur de la corrosion de l’acier par le plomb liquide en développant et brevetant un acier spécifique y résistant.

Ludovic Vandendriesche, directeur général de Newcleo SA et Antony Woaye Hune ont présenté la start-up Newcleo. Une spécificité des SMR développés était l’utilisation du combustible nucléaire dit MOX (pour Mélange d’OXyde de plutonium et d’OXyde d’uranium) issu du retraitement des combustibles à Uranium Naturel Enrichi (UNE) après leur utilisation dans les réacteurs actuels. Newcleo se développait rapidement (levées de fonds et ressources humaines) et prévoyait de commercialiser son SMR (LFR-AS-200 Amphora Shaped, 200 MWe) d’ici 2032.

Pär Olsson, professeur à KTH, a présenté le programme de recherche suédois sur les réacteurs rapides refroidis au plomb, SUNRISE financé par la Fondation suédoise pour la recherche stratégique (SSF). Les partenaires du projet étaient KTH, l’Université technique de Luleå et l’Université d’Uppsala. La prochaine étape de SUNRISE était la construction d’une installation de démonstration et de qualification à grande échelle à Oskarshamn.

Paul Gauthé, directeur technique d’Hexana a présenté cette start-up créée par des équipes du CEA. Elle conçevait un réacteur nucléaire modulaire à neutrons rapides refroidi au sodium intégrant un dispositif de stockage haute température. Hexana développait un système énergétique permettant de produire de l’électricité et de fournir directement de la chaleur à des industries énergivores à proximité.

Sylvia Lasala, Maître de conférences à l’université de Lorraine, chercheuse au Laboratoire réactions et génie des procédés (LRGP) et enseignante à l’École nationale supérieure des industries chimiques a présenté ses travaux sur l’amélioration des systèmes énergétiques et la réduction de leurs émissions. Ils visaient à exploiter l’énergie chimique dans les cycles thermodynamiques, en utilisant des fluides caloporteurs plus efficaces : l’évacuation de chaleur se faisait grâce aux phénomènes thermiques habituels mais aussi à ceux liés à des réactions chimiques réversibles des molécules constituant le fluide, ce qui était novateur. La théorie était validée avec des fluides fictifs. Silvia Lasala est titulaire d’une bourse du conseil européen de la recherche (ERC) pour trouver des fluides réels autres que le dioxyde d’azote (NO2) déjà connu.

Cette session s’est terminée avec la présentation de la start-up Otrera Energy par la co-fondatrice Nicole Fortunet. Otrera fabriquait un réacteur nucléaire de quatrième génération reposant sur la technologie des réacteurs refroidis au sodium. Le combustible utilisé était issu du recyclage des combustibles usés et actuellement stockés en piscine. L’objectif du dispositif conçu était la fourniture d’électricité et de chaleur.

Les usages non électrogènes du nucléaire
Clément Liégeard, Ingénieur sûreté au CEA, a présenté les recherches du CEA concernant les applications nucléaires à court-terme sur la cogénération d’électricité et de chaleur, la production d’hydrogène décarboné et la production de chaleur. Dans le cadre du projet IDNES les chercheurs étudiaient des SMR dédiés à la production de chaleur et des systèmes de conversions d’énergies innovants. Les secteurs d’applications visés étaient nombreux : agroalimentaire, industrie et collectivités pour les réseaux de chaleur et les réseaux de froid, capture de CO2 et dessalement.

Le traitement des déchets radioactifs à long terme
La demi-journée s’est terminée avec une session sur la gestion à long terme des déchets radioactifs avec les regards croisés des agences française (ANDRA) et suédoise (SKB) chargées de ce sujet.

Daniel Delort, chef du département relations internationales au sein de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a présenté quelques projets français : Cires (Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage), CSA (Centre de Stockage de l’Aube) et Cigéo (Centre Industriel de Stockage Géologie)).

Eva Andersson, directrice intérimaire de la recherche et de la sécurité à SKB, a présenté les activités de SKB, le projet SFR (Stockage de combustible usagé) et les différents programmes de recherches qui couvraient les thématiques déchets, combustibles, géosphère (hydrologie chimie, sismologie), biosphère et climat.

La coopération technique entre ANDRA et SKB était limitée en raison de leurs cahiers des charges différents (volume de déchets, géologie des sols des territoires, choix stratégiques…). Néanmoins les agences se connaissaient bien et coopéraient principalement dans le cadre du projet européen EURAD (programme joint européen pour la gestion des déchets radioactifs).

Coûts de ces nouveaux réacteurs, comment traiter tous les déchets nucléaires provenant des nouveaux réacteurs nucléaires, quel est le rôle de l’IA et de la numéraisation dans le nouveau nucléaire, comment présenter au grand public toutes ces nouveaux réacteurs, comment dimensionner le réservoir de chaleur, d’où proviennent ces nouveaux combustibles… Toutes ces questions ont été abordées lors de la deuxième journée franco-suédoise de la recherche 2023 sur l’énergie nucléaire.


Ces deux journées de conférences ont été conclues par les mots de Christophe Duwig et Valérie Lemarquand. Christophe Duwig, directeur adjoint de la plateforme énergie de KTH a déclaré : « Nous n’avons pas beaucoup de temps pour agir de manière décisive et nous devrions accélérer la décarbonation. Nous pouvons certainement faire quelque chose seuls, mais nous devons faire plus et plus vite ensemble. Aujourd’hui, nous réunissons des experts, des autorités et des industries de Suède et de France qui souhaitent tous travailler ensemble et aller de l’avant. Il est réconfortant de voir autant de personnes investir dans les relations et la collaboration ».

Valérie Lemarquand a déclaré : « Avec cet événement, nous avons réussi à rassembler des chercheurs, des représentants universitaires Suédois et Français avec des représentants de l’industrie et des institutions publiques. Ce succès montre qu’il y a une grande volonté à travailler ensemble sur les sujets en lien avec l’énergie nucléaire. Les discussions qui ont eu lieu pendant les deux jours de conférence ont ouvert la voie à de nouvelles actions entre les partenaires français et suédois ».

Entrée de KTH pendant les deux journées de conférences : la relation Franco-suédoise à l’honneur !

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