Portrait de chercheuse: Fabienne Quilès

Chargée de recherche CNRS dans le Laboratoire de Chimie Physique et Microbiologie pour les Matériaux et l’Environnement, Fabienne Quilès s’est rendue en Suède du 12 au 17 mai 2019 pour rencontrer ses homologues de l’Université d’Umeå. Découvrez son interview ci-dessous.

Bonjour Fabienne Quilès, merci beaucoup de nous accorder cet entretien. Vous êtes chargée de recherche CNRS au Laboratoire de Chimie Physique et Microbiologie pour les Matériaux et l’Environnement (LCPME, Unité mixte du CNRS et de l’Université de Lorraine). Après une thèse sur l’analyse par spectroscopie RMN (Résonance Magnétique Nucléaire) de fractions pétrolières issues du vapocraquage, en partenariat avec le groupe chimique Elf Atochem, vous avez rejoint votre laboratoire actuel, le LCPME. Vous étudiez la physico-chimie et la dynamique des jeunes biofilms au cours des étapes initiales de leur développement. Que sont les biofilms ?

Un biofilm est une communauté microbienne. Il est constitué par des micro-organismes qui viennent adhérer à une surface et qui passent donc d’un statut nomade à un statut sédentaire. Les cellules pionnières sont les bactéries, rejointes, dans les milieux naturels, par d’autres micro-organismes ou des molécules minérales ou organiques.

Ces micro-organismes s’adaptent à ce nouveau statut en modifiant leur métabolisme et en synthétisant des substances extracellulaires qui leur permettent de se protéger des agressions extérieures. En se multipliant, ces bactéries forment des agrégats sur le support, qui constituent un biofilm.

Il y a deux volets importants dans l’étude des biofilms :

  • Les étapes initiales de la formation des biofilms : comment cette formation se déclenche et se met en place, et quelles sont les évolutions métaboliques des bactéries ?

C’est une  étape clé où l’on peut agir pour éviter la formation de biofilms néfastes.

  • Une fois le biofilm installé, il est beaucoup plus résistant aux traitements : que se passe-t-il lorsqu’on le soumet à un stress, que ce soit physico-chimique (pH) ou à des molécules biocides ?

Où trouve-t-on des biofilms ? Leur existence est-elle une bonne chose ou pas ? Peut-on les contrôler et les utiliser ?

Ils sont présents partout où il y a de l’eau, des nutriments et une surface. Il y a des biofilms néfastes et des biofilms utiles :

  • Dans le milieu hospitalier, les biofilms qui se développent sur les implants ou les cathéters peuvent causer des infections nosocomiales. Leur existence est potentiellement dangereuse.
  • Dans l’industrie, des biofilms peuvent se former au niveau des échangeurs de chaleur, entraînant une perte d’efficacité.
  • Dans les systèmes d’exploitation des eaux potables, les biofilms sont présents dans tous les tuyaux de distribution d’eau. Cela ne pose pas de problèmes tant que le biofilm est composé de micro-organismes non pathogènes. Cependant, des agents pathogènes peuvent s’insérer dans ces biofilms et s’y multiplier. En outre, lorsque le biofilm devient très épais, il peut se décrocher et se retrouver dans l’eau du robinet. Les nombreux tests sur l’eau potable permettent de contrôler la qualité de l’eau et de remédier aux potentielles contaminations.
  • Les biofilms sont impliqués dans les cycles biogéochimiques. Les microorganismes qu’ils contiennent transforment les éléments de la biomasse (carbone, azote, soufre, phosphore, fer…) et participent ainsi à son recyclage. Ce principe est utilisé dans l’industrie. Par exemple, les biofilms sont utilisés dans le traitement des déchets par bioremédiation dans laquelle les matériaux polluants sont utilisés comme source de carbone et d’énergie.
  • Dans l’industrie alimentaire, certains biofilms sont présents dans la fabrication des bières par exemple ou dans la synthèse de certains éléments tels que la cellulose.

Vous étudiez aujourd’hui les biofilms, comment en êtes-vous venue à travailler sur ce sujet de recherche ?

Des biologistes ont rejoint le laboratoire au début des années 90 et je me suis très vite intéressée à leurs recherches sur les biofilms bactériens dans l’environnement. Passer de la chimie avec des molécules « inertes » au monde du vivant et à la formation de ces biofilms, qui sont en fait omniprésents, était passionnant. L’étude de ces biofilms bactériens est aujourd’hui mon sujet de prédilection, pour lequel j’utilise mes méthodes de physico-chimiste telles que les spectroscopies infrarouge et Raman ou la microscopie en épifluorescence.

Dans l’équipe, nous utilisons aussi la microscopie à force atomique pour obtenir une imagerie à l’échelle nanométrique et des informations sur la nanomécanique des bactéries étudiées.

Vous parlez de spectroscopie infrarouge ou Raman, pouvez-vous nous expliquer la différence entre ces techniques ?

Ces deux techniques sont des spectroscopies de vibration et sont complémentaires. Dans les deux cas, une lumière excitatrice est envoyée sur un échantillon pour provoquer des vibrations de liaison. L’énergie utilisée pour déclencher ces vibrations donne des informations sur la nature des liaisons chimiques dans l’échantillon. En spectroscopie infrarouge, c’est un faisceau infrarouge qui est envoyé sur l’échantillon tandis qu’en spectroscopie Raman, c’est un laser. Les règles de sélection de ces deux spectroscopies ne sont pas les mêmes, les informations obtenues sont donc complémentaires.

Quels sont vos autres projets de recherche ?

Je travaille aussi sur la résistance de certaines levures aux antifongiques : nous avons étudié notamment les changements au niveau de la paroi des levures après l’action stressante de la caspofongine (un antifongique classiquement utilisé), par exemple.

Un autre projet porte sur les prothèses médicales faites de titane. Quand on implante une prothèse, les infections bactériennes sont fréquentes malgré la stérilisation. On observe l’adhésion de bactéries sur l’implant et la formation ultérieure de biofilms. L’objectif est de modifier la surface de ces implants grâce à des traitements de surface pour éviter l’adhésion bactérienne et son développement en biofilm, qui peut entraîner des infections.

Vous vous êtes rendue à Umeå en 2019 pour rencontrer des chercheurs suédois. Sur quel projet travaillez-vous avec la Suède ?

Notre collaboration avec la Suède a débuté à la suite d’une rencontre, lors d’un congrès en 2017, avec Madeleine Ramstedt, enseignante-chercheuse à l’Université d’Umeå. Elle y présentait une méthode de cryo-XPS (X-ray Photoelectron Spectroscopy)[1] qui permet d’analyser la surface des bactéries en les congelant très rapidement et à des températures très basses, de façon à préserver leur forme et leur structure externe. De notre côté, nous avions présenté un travail sur la modification chimiquement contrôlée d’une surface et son rôle sur l’adhésion bactérienne et la croissance du biofilm. Il nous paraissait intéressant d’analyser et de comprendre ce qui se passait au niveau de la paroi des bactéries dans ces biofilms, une fois qu’elles ont adhéré à une surface et qu’elles ont modifié leur métabolisme. La technique de cryo-XPS, en complément des techniques de spectroscopie de vibration, nous permet d’étudier les structures pariétales à différents stades de leur développement.

Madeleine Ramstedt est venue en France en 2018 pour tester les techniques de spectroscopie que nous utilisons au laboratoire. Lors de mon séjour en Suède en 2019, je me suis rendue au département de chimie de l’Université d’Umeå où j’ai notamment pu essayer la méthode de cryo-XPS et voir comment elle fonctionne, ses avantages et ses contraintes.

J’ai commencé aussi un travail autour de la méthylation du mercure avec un autre chercheur de l’Université d’Umeå, Erik Björn.  J’ai réalisé quelques expériences sur les complexes mercuriques avec des composés soufrés. L’objectif est de comprendre quels sont les facteurs favorisant ou ne favorisant pas la méthylation du mercure. La méthylation du mercure est un phénomène naturel qui conduit à l’attache d’un groupement méthyle (CH3) au mercure. Il devient alors plus toxique, plus mobile et plus bioassimilable. Les gens sont exposés au méthyle mercure lorsqu’ils consomment du poisson ou des crustacés contenant ce composé. Cela peut avoir des effets préjudiciables sur le cerveau et le système nerveux en développement chez le fœtus, le nourrisson ou l’enfant. J’ai beaucoup aimé travailler avec nos partenaires suédois et j’espère poursuivre cette collaboration.

Pour aller plus loin :
http://www.lcpme.cnrs-nancy.fr/lcpme/spip.php?article78&lang=fr

[1] La spectrométrie photoélectronique à rayons X (XPS) a été développée par le physicien suédois Kai Siegbahn qui reçut le prix Nobel de physique en 1981.

 

 

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