L’astrophysique est une branche interdisciplinaire de l’astronomie qui concerne principalement la physique et l’étude des propriétés des objets de l’univers (étoiles, planètes, galaxies, milieu interstellaire par exemple), comme leur luminosité, leur densité, leur température et leur composition chimique, leur formation et leur évolution.
Ce domaine de recherche est un pilier de la coopération franco-suédoise puisque l’astronomie-astrophysique est le deuxième domaine de publications conjointes (après la physique) entre la France et la Suède avec plus de 2 700 publications sur la période 2010-2020. Les astronomes français et suédois, au fil des ans, ont trouvé des raisons de coopérer dans de nombreux programmes au sol et dans l’espace, tant sur les étoiles et leur composition que sur le milieu interstellaire, les nébuleuses et les galaxies.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer une figure d’excellence de ce domaine et membre étranger de l’Académie Royale des Sciences de Suède depuis 2005, Catherine Cesarsky. Découvrez ci-dessous notre interview.
Vous avez un doctorat d’astronomie de l’Université de Harvard, vous avez fait un post-doctorat au California Institute of Technology, l’un des plus grands centres de recherche en astronomie, avant de revenir en France et de devenir en 1974 chercheuse dans le Service d’astrophysique du CEA à Saclay. Vous êtes aujourd’hui Présidente du bureau du projet international de construction du plus grand radiotélescope du monde, SKA (« Square Kilometer Array »).
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux galaxies et plus particulièrement à l’origine et à la propagation des rayons cosmiques ?
Ces choses-là se font souvent au hasard des circonstances. J’étais à la recherche d’un directeur de thèse lorsque j’étais étudiante à l’Université de Harvard et j’ai eu la chance de rencontrer, lors d’un congrès, un astrophysicien et physicien des plasmas de Princeton, qui m’a proposé un travail d’été sur les rayons cosmiques. Mon regard neuf m’a permis de dévoiler de nouvelles facettes qui ont fortement changé les conclusions de ses travaux. Nous avons publié ensemble un article qui fut très bien accueilli et c’est donc tout naturellement que je suis restée avec lui pour faire une thèse sur les rayons cosmiques.
Mes études m’ont amenée à m’intéresser à l’astronomie infrarouge. C’est ainsi que je me suis lancée, en 1985, dans la fabrication d’un instrument pour le premier observatoire infra-rouge spatial, ISO : la caméra infra-rouge ISOCAM. Cette caméra permettait d’observer des galaxies infrarouges bien plus lointaines que ce qu’on avait pu observer jusque-là. Cela a amené des découvertes capitales sur l’évolution des galaxies, sujet auquel je me suis consacrée depuis lors.
Vous avez dirigé la direction des sciences de la matière (DSM) au CEA, vous avez été directrice générale de l’Organisation européenne pour les recherches astronomiques dans l’hémisphère austral (ESO), présidente de l’Union Astronomique Internationale et vous êtes aujourd’hui présidente du bureau du projet de télescope SKA. C’est très impressionnant, encore plus pour une femme ! Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre autant de responsabilités ?
Quand j’étais jeune chercheuse, ce qui m’intéressait était de faire de la recherche et je n’avais pas l’ambition de devenir directrice. Cependant, en 1984, je pensais que l’astronomie infra-rouge spatiale était très importante pour la promotion de l’astronomie européenne. Je me suis donc impliquée dans le développement la caméra ISOCAM pour l’observatoire spatial européen ISO. J’ai fini par prendre la tête du consortium ISOCAM à la demande des autres participants. Et puis j’ai accepté de diriger le service d’astrophysique au CEA, qui n’avait pas jusque-là œuvré en astronomie infrarouge, afin de fédérer le laboratoire autour du projet.
Par la suite, la direction du CEA m’a proposé le poste de Directrice de la direction des sciences de la matière (DSM, à la tête d’une équipe d’environ 1800 scientifiques et ingénieurs.
En 1999, j’ai eu la possibilité de revenir dans ma discipline en devenant Directrice Générale de l’Organisation européenne pour les recherches astronomiques dans l’hémisphère austral (ESO), que j’ai dirigé pendant huit années. Peu après mon retour en France, j’ai été nommée, en Conseil des ministres, Haut-Commissaire à l’énergie atomique, conseillère du gouvernement pour les questions de science et d’énergie.
Selon vous, quels sont les grands défis actuels à relever en astrophysique ?
On sait depuis longtemps que moins de 15% de la matière dans l’univers est ordinaire, celle dont nous-mêmes, la Terre et les étoiles sont constitués. La majeure partie de la matière est « sombre », n’émettant pas de lumière, révélée par ses effets gravitationnels sur la matière normale. L’enjeu est donc de comprendre la nature de cette matière sombre, son rôle dans l’évolution de l’univers, dans la formation des structures, des galaxies et des trous noirs.
Ensuite, on a découvert en 1996 que l’expansion de l’univers accélère, sans que l’on en connaisse la raison. L’interprétation habituelle est d’invoquer la présence d’une force à grande échelle, répulsive, due à une « énergie sombre » qui emplit l’univers et dont la nature et les propriétés ne sont pas encore révélées. Pour les astrophysiciens contemporains, c’est l’un des grands mystères à élucider
Depuis 1995, l’humanité a réussi à déceler la présence de planètes autour d’étoiles autres que le Soleil : les exoplanètes. Depuis, de nombreuses méthodes permettent de découvrir et d’étudier ces planètes. On en connait aujourd’hui plusieurs milliers avec une diversité extraordinaire. C’est devenu un très sujet d’étude très riche, qui personnellement m’intéresse beaucoup.
Comment répondre à ces défis ?
Aujourd’hui, l’astrophysique est une science internationale et on peut pratiquement dire qu’il y a une stratégie mondialeEn 2022, l’Agence Spatiale Européenne doit lancer un satellite, nommé EUCLID, qui permettra des avancées sur la matière sombre et l’énergie sombre. En parallèle, les Etats-Unis, au sein d’un consortium international, construisent un grand télescope optique au sol, dédié à l’étude de ces mêmes problèmes. Ces programmes sont complémentaires.
L’étude de l’énergie sombre depuis le sol peut aussi se faire avec des ondes radio. C’est l’un des objectifs de l’observatoire aux ondes radio mondial SKA, qui m’occupe maintenant, et dont la construction devrait démarrer en 2021. Le Siège sera en Angleterre et les réseaux d’antennes en Australie et en Afrique du Sud. La Suède, très forte en radioastronomie, est l’un des 14 pays partenaires.
L’année prochaine, le lancement d’une mission spatiale, nommée James Webb Space Telescope, un télescope spatial de 6,5 m de diamètre (successeur de Hubble Space Telescope), devrait amener des découvertes importantes sur les galaxies lointaines et sur les exoplanètes.
Dans le même temps, l’ESO a entamé la construction au Chili du plus grand télescope au sol du monde, Extremely Large Telescope (ELT), qui permettra des avancées dans de nombreux sujets mais notamment sur l’étude des planètes extrasolaires. Ce projet me tient aussi à cœur, je l’ai lancé quand j’étais Directrice Générale de l’ESO.
Quels sont les liens que vous entretenez avec la Suède ?
La Suède, avec l’Italie et le Royaume Uni, était impliquée dans le programme ISOCAM. Elle a développé et livré les filtres de la caméra, et a dirigé avec succès le volet de recherches sur les régions de formation d’étoiles dans notre galaxie. Cette collaboration fructueuse en a amené une autre sur la caméra infrarouge pour le sol CAMIRAS, développée au CEA et mise en œuvre sur le télescope nordique aux Iles Canaries, NOT, en collaboration franco-suédoise. Les suédois ont aussi travaillé à nos côtés pour un instrument . La discussion continue pour les projets futurs en astrophysique infrarouge spatiale.
La Suède est membre des quatre organismes internationaux avec qui j’ai beaucoup collaboré ces dernières années : l’ESO, l’ESA, le CERN et SKA ; le vice-président du bureau de SKA, avec qui je travaille au jour le jour, est suédois.