Dans le cadre du Choix Goncourt de la Suède 2023-2024, Thobias Nilsson livre une critique littéraire de Triste tigre de Neige Sinno, publié chez P.O.L, basée sur les débats du jury.
Dure et douloureux sont deux mots qui ont été exprimés par tous les membres du jury quand ils évoquent le sujet du livre Triste tigre de Neige Sinno. Dans ce livre, l’autrice aborde le sujet difficile de l’inceste dont elle a été victime pendant son enfance. Avec une honnêteté et une franchise absolue, Neige Sinno décrit déjà à la première page, sans aucune censure, les viols qu’elle a subis de son beau-père. Ce début rentre directement dans le vif du sujet, sans tourner autour du pot, et fait tout de suite entrer les lecteurs dans l’univers douloureux de l’autrice.
Tout au long du livre, elle alterne des passages de récit de son enfance, de son adolescence et de sa vie d’adulte, avec ses réflexions sur le pourquoi et le comment. Son côté académique et sa connaissance littéraire se révèlent par les extraits de roman, les poèmes et les références aux autres auteurs, comme Vladimir Nabokov, Christine Angot et Annie Ernaux, qui parsèment le livre. Elle s’appuie sur ces références ainsi que sur des articles de journaux et des lettres pour raconter une histoire qui n’est pas racontable.
Si le jury du Choix Goncourt de la Suède a trouvé la lecture de ce livre déroutante et psychologiquement éprouvante, il est unanime sur le fait que c’est un livre intéressant et extrêmement important dans une société où 10 % des enfants sont victimes d’inceste. Un membre du jury a même émis l’avis que ce livre devrait être obligatoire à lire pour les professionnels en contact d’enfants, dans la lutte contre la pédophilie. Si le récit des faits n’occupe qu’une mineure partie du livre, Neige Sinno consacre des longs passages à l’analyse du sujet et des faits sous de multiples angles. Elle brosse le portrait du violeur, son beau-père, pour comprendre la raison de ses actes, elle se met à la place de sa mère et de sa demi-sœur pour qui le violeur est aussi son père biologique, et raconte les réactions des villageois dans son village d’enfance. Toutes ses analyses sont écrites avec une grande perspicacité et sont à la fois subjectives et objectives. À plusieurs reprises, elle fait la remarque que ses analyses sont fortement influencées par ses expériences. Sa crédibilité est davantage renforcée par le fait qu’elle s’autocritique souvent, et qu’elle n’essaie pas de cacher ses pensées les plus sombres pour maquiller l’image d’elle-même.
Les différents angles pour attaquer le sujet, combinés aux références littéraires, donnent au livre une forme un peu désordonnée, sans fil rouge évident, ce qui nous permet d’entrer dans sa tête et de suivre le processus de sa pensée et de son écriture. Nous avons eu l’impression de faire un voyage avec elle en lisant ce livre, à travers une introspection psychologique et cathartique. Cette forme atypique laisse pourtant le jury indécis sur le genre du livre. Ce n’est ni un roman, ni une autobiographie. Est-ce un essai ou un mémoire ? Le jury s’interroge sur comment le comparer aux autres romans en lice pour ce Choix Goncourt de la Suède. Ce qui est sûr, c’est que peu importe comment on catégorise ce livre, Triste Tigre ne laisse personne indifférent. C’est un livre que nous recommandons chaleureusement.
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