Dans le cadre du Choix Goncourt de la Suède 2023, Anne Andresen, Peter Blom, Erika Torell et Lisa Österlund livrent une critique littéraire de Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli basée sur les débats du jury.
« Moscou. La plus triste et la plus belle des grandes capitales impériales. » Voilà où se déroule le roman Le Mage du Kremlin de l’écrivain et politologue Giuliano da Empoli, et voilà comment, en traversant cette métropole tard un soir, l’un des personnages principaux en décrit les aspects contradictoires.
Le narrateur est un chercheur français en déplacement à Moscou pour faire des recherches sur l’auteur Eugène Zamiatine, et qui, après une invitation à l’improviste, finit par rendre visite à l’ex-conseiller politique du « Tsar » – celui que l’on surnomme ici le « Mage » – dans sa résidence hors de la ville. Le chercheur y passera la nuit, au coin du feu, à écouter ce que cet ancien proche du Président a vécu depuis la montée au pouvoir de Vladimir Poutine.
C’est sous la forme d’un récit raconté pendant toute une nuit, que Giuliano da Empoli nous offre une version de l’histoire moderne de la Russie, en mêlant événements réels, anecdotes historiques et éléments fictifs. Nous nous rapprochons de Vladimir Poutine par les yeux de son conseiller, Vadim Baranov, qui est nettement inspiré du réel ex-stratège du Président, Vladislav Surkov ; ici décrit comme un ancien producteur de télé-réalité et homme de théâtre, influençant la politique en usant de stratagèmes douteux.
Giuliano da Empoli dépeint ainsi les contrastes entre le monde occidental et la Russie contemporaine d’une façon assez spectaculaire, ce qui permet de lire ce récit presque comme un thriller géopolitique. Nous nous demandons sans cesse : ce livre, nous aiderait-il à comprendre les motifs de la guerre en Ukraine ? Pourrait-il nous offrir une explication sur le caractère énigmatique de Vladimir Poutine ? Existerait-t-il dans ces pages, une explication sur l’évolution de la politique russe ? Le roman est sorti seulement six semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie fin février 2022, un timing parfait pour attirer les lecteurs. Le Mage du Kremlin a depuis connu un grand succès dans les librairies.
Néanmoins, malgré la consécration de ce roman – récipiendaire du Grand prix du roman de l’Académie française et du Prix Honoré de Balzac 2022), l’ouvrage ne séduit pas tout le monde. Il ne manque pas de voix critiques concernant les clichés sur le peuple russe, sur l’aspect spéculatif de l’histoire, et sur un style peu soigné dans un langage trop carré. En outre, ce roman peut paraître trop masculin pour plaire à tous les lecteurs, les femmes y sont quasiment absentes.
Selon nous, la grandeur de ce livre, très riche en références littéraires et en intertextualité, réside surtout dans la construction de la narration, où l’histoire racontée emprunte sa structure à la forme classique d’une histoire emboîtée dans une autre histoire, et où la thématique de la dystopie de Nous autres de Zamiatine forme un fil rouge fascinant.
Découvrez le mois prochain, la critique de Vivre vite de Brigitte Giraud Pour en savoir plus sur le Choix Goncourt de la Suède 2023, cliquez ici.